Récit livré pour Triban et Décathlon
INTRODUCTION
Avez-vous connu cette sensation quand on rentre dans la cour de l’école qu’on a fréquenté étant petit ? Comme des papillons dans le ventre. Tout est exactement à la même place mais c’est différent. Un peu comme dans un rêve. 
Ce périple était dans un tiroir depuis longtemps, des doutes me retenaient. Puis je me suis lancé, c’était l’hiver, la grisaille, la nuit à 18h, le froid… Alors autant en profiter sur un vélo au milieu de paysages qui me rappelleront mes jeunes années au Pays-basque et dans le Béarn. C’est donc à la fois un périple dans le profond sud-ouest mais surtout un voyage dans le temps que j’entreprends. 
Amandine et moi ne sommes pas partis ensemble depuis 2 ans et demi. C’était l’occasion de retrouver ma partenaire de voyage préférée. Un périple en amoureux en laissant notre fille profiter de ses grands-parents.
LA DESCENTE DU TRAIN
Deux heures de train nous ont arraché à Bordeaux, dans la brume hivernale, je peine à voir la cime des pins tellement celle-ci est épaisse. À la descente du train, une poubelle nous accueille avec écrit dessus milesker (merci en basque). Ça y est nous sommes arrivés. L’aventure nous tend les bras. Il faut encore s’échapper de Bayonne. On attrape les bords de la Nive et on s’enfuit. La route qui longe le fleuve est couverte de boue, la Nive est sortie de son lit quelques jours avant notre passage, se débarrassant de ses déchets dans les arbres pour les rendre visibles. La voie cyclable que l’on emprunte nous emmène au cœur de ce Pays-basque que j’aime. Au programme de cette première journée: des beaux raidillons et des vues cartes postales. Réaliser ce périple en hiver est encore plus jouissif. On en profite malgré le froid et il nous fera encore plus profiter des beaux jours du printemps et de l’été. Chaque minute dehors compte. Pour m'aérer la tête, pour libérer mes angoisses, pour me sentir libre, pour me sentir bien. 
LE PAS DE ROLAND
J’ai le souvenir d’une route empruntée au fond de cette gorge. Avant d’être mon quotidien, le Pays-basque était surtout ma destination de vacances. Chaque été le mois d’août nous emmenait aux alentours de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Avant de redécouvrir cette route, il faut dompter quelques pentes raides que le relief basque connaît si bien, dans une brume épaisse qui nous isole encore plus de ce qui nous entoure, on fait une halte dans le dernier village que l’on croise pour prendre quelques ravitos. Un panneau nous annonce qu’on est à Itxassou et que la route du Pas de Roland est devant nous. L’arrivée est majestueuse et je ne reconnais pas cet endroit, j’ai l’impression de le découvrir. On est au fond d’une gorge et la route qui s’ouvre à nous est sinueuse, la Nive à notre gauche et des falaises à droite. Le dépaysement est là. Mais j’ai cet étrange sentiment de déception, j’ai l’impression de n’avoir aucun souvenir ici. Et j’attendais de reconnaître cet endroit. Je suis déjà venu mais je ne m’en souviens pas. On s’arrête un moment, je prends le temps d’observer ce qu’il y a autour de moi.  On distingue l’ancienne voie de chemin de fer sur la gauche, et c’est là que je comprends que j’ai traversé cet endroit en train et non en voiture. Et, comme un déclencheur, je me souviens d’une journée d’été où je suis allé à la plage depuis Saint-Jean-Pied-de-Port. On fait halte ici pour manger et profiter du lieu, de la vue, discuter avec une personne du coin qui se balade. La machine à souvenirs fonctionne.
LES CHEMINS DE TRAVERSE
Quand je repère mes périples j’aime trouver la plus petite route, le plus petit chemin sur lequel je peux m’engager avec mon vélo. Je suis sûr d’une part d’être loin des voitures avec qui le partage de la route n’est pas toujours aisé et surtout je suis convaincu que ce sont dans ces traverses que l’on voit les plus belles choses. On n’a pas été déçus. Après avoir sillonné une route le long de la montagne, on s’engage dans une forêt, où il nous a évidemment fallu pousser les vélos. Après avoir passé le petit portail à bétail en bois, on s’est retrouvés à descendre à travers la forêt avec le vert du Pays-basque pour toile de fond. Notre route est ensuite tracée jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port. La brume s’est levée et le soleil vient caresser nos joues. Notre première journée était dépaysante et un premier pas pour retrouver des souvenirs enfouis. C’était la mise en bouche et le lendemain s’annonce beau et haut !
GAMIA ET LARCEVEAU
Saint-Jean-Pied-de-Port, c’est pour moi un terrain connu, j’y ai passé mon enfance, et j’y ai récemment fait découvrir les balades à vélo à notre petite Lou. Les souvenirs sont frais mais il est toujours agréable de nous rappeler les premiers mois de vie de Lou et de nous dire que les premiers paysages qu’elle a vu sont si beaux.
On repart pour franchir le col de Gamia et son départ infernal, on fait la course avec des brebis et surtout, on en profite pour passer par l’autre côté du col, le long d’une longue descente.
Le village suivant m’est familier, lorsque le nom résonne dans ma tête alors que j’écris ces lignes, mon ventre fait tourner quelques papillons. Larceveau, son fronton où je jouais à la pelote étant petit me rappellent les journées d’été au soleil à renvoyer la balle contre ce mur avec mon père. C’est dingue comme le cerveau enregistre tout un tas d’informations et avec de petits stimuli peut faire rejaillir une histoire, une émotion, une odeur ou une sensation.  
LA RANDO
Le second temps de la journée est le plus dur : il faut se hisser avec nos vélos en haut de Gaztelu zahar (vieux château en basque). Gaztelu zahar c’est le nom de ce sommet, qui désigne plus généralement le nom des places fortes situées en haut des points culminants du Pays-basque. C’est une première pour moi de monter de cette façon à la montagne, entre rando et vélo. Les moments de marche sont propices à l’émerveillement et les descentes nous rendent euphoriques et fiers d’avoir franchi le relief. On emprunte des chemins pastoraux, le soleil passe nous dire bonjour avant de nous lâcher pour laisser la pluie mouiller nos têtes. On croise des pottoks et c’est tout. Pas une âme qui vive autour de nous. Lorsque l’on s’arrête pour manger, on remarque ce silence que l’on observe trop peu dans nos vies. J’ai le sentiment d’être loin du monde car je suis arrivé au bout. 
On observe des vautours nous tourner autour, il y en a beaucoup mais comme nous bougeons ils finissent toujours par se disperser. C’est un sentiment étrange, un peu inquiétant de voir ces bêtes se rapprocher puis s’éloigner, comme s’ils n’étaient pas habitués à voir des humains ici. Il faut accepter que l’on dérange et s’éclipser à pas feutrés. 
Nous nous raccrochons au temps. Au final en deux heures nous n’aurons parcouru qu’une petite dizaine de kilomètres et notre journée de balade va sûrement se terminer de nuit. 
NUIT & BÉARN
J’ai découvert le fait de rouler de nuit récemment. Comme j’ai beaucoup aimé la première fois, j’avais hâte de recommencer. Les petites routes du Pays-basque sont parfaites pour cette pratique car peu fréquentées. Il y a comme une urgence la nuit, notre cerveau fonctionne différemment, il n’écoute plus le corps, il écoute les alentours, il est alerte. On a roulé avec euphorie dans la nuit, en traversant les champs, les chemins qui étaient sur notre route. Amandine, elle, découvrait cette sensation particulière. Nous étions comme des enfants, pédalant comme des dératés, heureux de fendre la nuit à toute allure.
C’est de cette façon que nous nous sommes arrachés au Pays-basque, comme si la nuit coupait cette journée en deux pour nous accueillir dans le Béarn et nous réserver la surprise de la découverte du paysage le lendemain. 
Salies-de-Béarn nous attend dans le silence de la nuit pour nous emmener demain à Orthez : dernière ville où j’ai vécu avec ma mère et à Mourenx, ville des grands-parents d’Amandine. 
DESTINS CROISÉS
Pendant que l’on remballe nos affaires, un arc-en-ciel nous fait l’honneur de sa présence. Le relief du Béarn n’est pas si différent du Pays-basque, si ce n’est que les côtes sont moins longues mais parfois plus raides. On coupe évidemment dans la forêt. J’aurai mieux fait de me taire au départ en disant que pour cette journée il n’y aurait pas besoin de pousser les vélos. C’était faux. 
Le Béarn est souvent gris, le temps de la matinée est typique, un peu pluvieux et frais. Pousser les vélos nous réchauffe. On se dirige donc vers Orthez. Les souvenirs qui me lient à cette ville sont malheureux: une adolescence pas facile, une séparation de mes parents et un décès. Mais à ressentir des souvenirs malheureux, on se sent vivant quand c’est au moyen de son vélo qu’on peut les revivre. Et surtout, je suis partisan du fil de vie. Si je n’avais pas vécu exactement ma vie telle qu’elle s’est déroulée, je ne serai pas en ce moment en train de parcourir cette route.
Chaque coup de pédale nous rapproche de la fin de notre séjour. Amandine a hâte d’arriver devant la maison où elle a vécu des souvenirs avec ses grands-parents. Mourenx, c’est une ville qui me parle aussi, les compétitions de judo, les copains d’adolescence. En discutant on se rend compte qu’on a sûrement fréquenté les mêmes endroits aux mêmes époques de nos vies, j’aime me dire que peut-être nous nous sommes croisés sans le savoir. 
On arrive à Mourenx, Amandine reconnaît l’aire de jeux où elle jouait petite avec son frère et sa sœur. On arrive devant la maison inhabitée depuis plusieurs années. J’ai aimé voir comment Amandine se plongeait dans ses souvenirs d’une façon différente de la mienne : elle a sonné chez les voisins de ses grands-parents, et s’est remémorée de belles histoires, avec eux, pendant une heure de discussions. Après avoir fait une halte dans l’aire de jeux on se remet en route le cœur un peu serré. 
LE VÉLO N’EST RIEN SANS HISTOIRE
Ce périple s’est achevé avec les réminiscences des moments vécus dans nos jeunesses, avec le recul du temps qui passe et de la vie qui suit son cours. Ce périple à affirmé l’envie de rouler pour raconter des histoires, pour transmettre, pour partager et pour prendre du recul sur soi, sur la façon dont traverse la vie. Le vélo est la mémoire vive du temps. Je rentre avec des histoires à raconter, des souvenirs à piocher. La boucle est bouclée. 

SE BALADER

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